L’herbe verte du Bief a besoin d’eau pour pousser. Et pourtant, parfois, c’est le sang qui l’abreuva. Celui des Cendregué coula beaucoup en deux ans. Celui de Brynden, le fils aîné, le fils prodige, le fier héritier, véritable modèle de chevalerie. C’était un beau jeune homme aux boucles brunes et aux yeux verts. Il était parti à la guerre, laissant sa mère enceinte sous la garde de son petit frère et de son père. Il était beau et fier dans son armure en partant. Garreth avait douze ans et écuyer de son père, mais ce ne fut pas que Brynden qui périt cette année-là.

Marissa, leur mère, mourut en mettant au monde Elowen, était-ce dû à une trop grande perte de sang, le stress des combats, une maladie ? La mort de son fils ? Il y avait beaucoup de choses qui conclurent cet accouchement dans le sang et les larmes. On apporta sa fille emmaillotée dans une couverture à son père, assommé par la mort de sa chère et douce épouse. Il ne put que la nommer avant de la confier aux nourrices et à Garreth.

Ce fut Garreth qui dut s’occuper de sa petite sœur les premières années de sa vie. Son père n’avait pas le courage de le faire, cela même s’il n’était pas un mauvais père, mais il y avait tant à faire après cette rébellion. Alors ce grand frère prit très à cœur de s’occuper de cette petite fille, pour l’empêcher de trop ressentir le froid et l’absence de son père, de sa mère et de son frère. Il la portait sur ses épaules, lui racontait tous les souvenirs qu’il avait de sa mère et de leur frère, il l’amenait avec lui pour lui montrer comment il s’entraînait. Il lui lisait des histoires, écrivait avec elle les siennes pour rire, il la faisait monter à cheval avec lui. C’était une complicité incroyable entre les deux frères et sœurs malgré une grande différence d’âge. Il se promit que sa petite sœur serait heureuse, il ne voulait pas qu’elle entende le silence assourdissant des couloirs. Le jardinage devient leur activité préférée, Brynden avait tant aimé les fleurs, c’était leur moyen à eux de passer du temps tous les trois.

Quand son père reprit plus ou moins sa place auprès de ses enfants, une fois le calme revenu, Garreth et Elowen restèrent proches, toujours, sous l’œil triste, mais bienveillant, de leur père. Il les encourageait tous les deux pour qu’ils progressent dans leur domaine. Même quand Garreth encouragea sa petite sœur à apprendre la langue du commerce, il accepta. Alors, la petite fille grandit, malgré l’absence d’une mère et la distance d’un père, Garreth les remplaçait sans doute tous les deux, un véritable mentor, un frère, le phare chassant l’obscurité de la mort.

Seulement, les sept ont soif du sang des Cendregué. Garreth, quand bien même il était héritier, adorait toujours les tournois et participait aussi souvent que possible, portant les couleurs de sa petite sœur. Invité au tournoi de Castral Roc en sa qualité de jouteur, il fut accompagné de sa sœur et de son père. S’il réussit ses premières joutes, sa troisième lui fut fatale. Son cheval, effrayé, trébucha et s’effondra sur lui, alors qu’il avait une lance fichée dans l’épaule. L’animal lui roula dessus dans une cacophonie de hurlements de douleur, de hennissement et de bruit d’armure. Cédric bondit sur ses pieds, mais personne ne pensa à cacher les yeux d’une enfant de douze ans, immobile, à voir son frère se faire extraire sous son cheval, du sang imbibant le sable de l’arène.

Elowen s’était précipitée à la tente de soins pour voir son frère, abandonnant son père qui était figé sur place, elle courut, tenant sa robe entre ses mains jusqu’à retrouver son frère. Il avait du sang coulant de sa bouche mais ses yeux s’ancrèrent das les siens alors qu’elle s’approchait de lui. Il leva sa main pour toucher sa joue alors que sa respiration devenait de plus en plus erratique.

« Je… Ne plante pas… de… Chrysanthème… Des jonquilles… si tu veux… et… et des hortensias roses… S’il te plaît. »

Elowen serra cette main de toutes ses forces en ravalant ses larmes et offrit un sourire à son frère. Elle soutenait son regard alors que brusquement une paire de main l’arrachait de son frère, elle ne le lâchait pas des yeux alors que les siens devenaient de plus en plus brumeux sous les tentatives de soins des mestres. Elle vit la mort prendre la lumière de la vie dans les prunelles de son frère.

La douleur de perdre Garreth est un fardeau insupportable pour Elowen, elle venait de perdre son mentor, son grand-frère, la lumière de sa vie. La maison de Cendregué est enveloppée d’un voile de tristesse, et Elowen, désormais seule, se vit confrontée à la réalité brutale de ses responsabilités. Son père, une fois rentrée, lui fit symboliquement brûler toutes ses poupées, tous ses jouets dans un brasero, son enfance était finie et il voulait qu'elle s'en rende compte. Elle prit donc le rôle d’héritière et son père la garda près de lui, s’assurant qu’elle apprenait tout ce qu’il fallait, mais la laissant souvent aux mains du mestre et de l’intendant qui devaient l'éduquer à la place de son père… Il tombait de plus en plus malade, s’enfonçant doucement dans la dépression, laissant sa petite fille gérer presque seule les terres qu'il avait jadis aimé.

Petite fille qui dû trouver également une épée lige en la personne de Dandelion, un chevalier qui s’était illustré durant la guerre. Et qui avait un penchant pour les hommes. Fine lame et son secret gardé par la jeune fille, il devient son ombre armée et un peu effrayante avec de larges balafres sur son torse et sa gorge.

La vie s’enveloppa dans un manteau de deuil et d’obscurité. Les couloirs devinrent froids et silencieux. Une agonie lente et profonde, son père ne s’éloignant plus de son domaine, ne donnant plus fête ou réception. Et son agonie prit fin peu de temps après la nouvelle année, ce fut Elowen qui le trouva mort, étendu dans son lit, sans vie.

Elle dut gérer seule l’enterrement où elle demeura seule devant le cercueil. Personne pour la soutenir en dehors de son épée-lige et des gens de sa maison, mais elle fut seule. Et aujourd’hui, elle doit faire face à un tournoi, elle sait ses devoirs : trouver rapidement un époux, elle n’a que quinze ans, mais elle ne laissera pas sa maison s’éteindre.

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