Treasures are treasures because they're lost | Ft Yohn Vendeloyn

Le soleil est haut dans le ciel, alors que le printemps est déjà bien installé sur l'archipel ; bientôt, l'été viendra assécher les feuilles des palmiers, points de verdure sur les balcons des grandes villas que Jazara aperçoit au loin.  Les murs de la cité se reflètent dans les tranquilles eaux jade du port ; la jeune femme s'imprègne du paysage, accoudée au bastinguage, un arrière-goût amer dans la bouche. Il s'agit probablement de la dernière fois qu'elle vient à Lys pour quelques années ; elle s'installera à Port-Réal dès le début de l'année suivante. Naviguer dans la Mer d'Été lui manquera, mais elle n'a pas vraiment son mot à dire dans l'affaire.

Son père aurait fini par la laisser à terre à la maison si elle n'avait pas accepté ce compromis. Au moins, elle pourra toujours voyager au sein de Westeros, le temps de pouvoir revenir sur le bateau. « Le temps que ton frère devienne quelqu'un capable de t'épauler convenablement » ; Père lui a promis. Jazara craint cependant que ce ne soit la force des choses qui ne la force à remplacer son père, un jour ou l'autre, au pied levé.

Elle espère que cela ne sera pas avant des années.

— À quoi tu penses ?

Syreo la tire de ses pensées en s'installant à côté d'elle et Jazara soupire, ses yeux se détournant de la beauté du paysage pour se tourner vers son ami.

— Rien de bien distrayant. Père m'a demandé de rester au navire. Paraît que j'ai tapé dans l'oeil du marchand avec qui il avait rendez-vous cet après-midi.

Un rictus lui échappe, qui lui vaut un regard en coin du scribe. Syreo n'est pas dupe de sa plaisanterie. Son père la surprotège beaucoup trop depuis l'incident qui a failli lui coûter la vie. Jazara aimerait pourtant que les choses soient restées les mêmes, qu'elle ne soit plus regardé par son père comme si elle risquait de se briser. Tout ça parce que ses articulations sont bien plus celles d'une personne âgée que d'une jeune femme.

— Jazara, quelqu'un veut voir le capitaine !

En parlant de son père... Un soupir lui échappe alors qu'elle se tourne vers le marin qui l'interpelle et lui fait un signe de la main pour montrer qu'elle a entendu. Fin de sa tranquilité pour l'après-midi, visiblement. Elle s'étire rapidement, vérifie que sa tenue n'est pas trop débraillée pour accueillir quelqu'un, avant de demander un dernier avis à Syreo.

— Je suis décente ?

— J'ai vu des mules mieux apprêtés.

Le coup de pied dans le molet de Syreo part sans même qu'elle n'y pense et le scribe esquive avec un sourire amusé, avant de tendre la main pour réajuster le col de la chemise de Jazara. Elle sait qu'au moins pour les apparences, elle ne devrait pas tolérer une telle familiarité de la part de Syreo. Père ne lui a jamais fait de remarques à ce sujet, certes, mais elle devrait commencer à poser des limites, avant leur installation à Port-Réal.

Plus simple à dire qu'à faire, quand elle se demande parfois ce qu'ils auraient tous deux pu devenir si les dieux ne l'avaient pas maudite. Est-ce que Syreo se souvient même encore de Jothiel ? Est-ce qu'il en garde de bons souvenirs, ou les prêtres se sont assurés d'éteindre toute affection qu'il aurait pu avoir pour un monstre ?

Syreo acquiesce finalement et s'écarte de son passage ; Jazara s'empresse alors d'aller accueillir l'homme au pied du ponton d'accès. Elle se retient de froncer le nez lorsqu'elle prend la peine de le détailler. Il n'a l'air de venir de Lys ; serait-ce un marchand étranger qui profite d'être dans le même port que son père pour parler affaires ? Il ne lui est pas familier, en tout cas ; elle n'a probablement jamais traité avec lui.

Elle s'incline légèrement une fois arriver à sa hauteur, le saluant poliment.

— Bonjour, je vous prie d'excuser mon père, il est absent pour le moment. Je suis Jazara Saaros, sa fille. Vous semble-t-il possible d'aborder ce qui vous amène avec moi ? Dans ce cas, je vous en pris, montez, nous serons plus à l'aise dans son bureau pour discuter.

Et il y a moins de chance que l'étranger tente quoi que ce soit sur le navire. La prudence n'est jamais un défaut.