Les étoiles pour seul refuge ◈ Naerys

Gaebril lui a collé aux basques toute la journée durant, et Sariel s’attend à le voir surgir d’un angle à tout instant. Il a pourtant réussi à le semer au détour d’un couloir, mais son chaperon ne le laissera pas filer aussi facilement. La gorge serrée, il parcoure donc les longs corridors du Donjon Rouge d’un pas hâtif en quête d’un refuge, d’un endroit où s’attarder pour les prochaines heures sans se faire repérer. Gaebril peut bien lui accorder cette fleur ! Depuis leur arrivée à Port-Réal dans la matinée, les rencontres diplomatiques pour faire bonne figure n’en finissent pas - et si Ysold les enchaîne avec la dignité d’une reine, Sariel ne supporte pas ce rythme effréné.

Encore moins après avoir rencontré la reine en personne qui lui a lui collé cette sale impression de vouloir le presser comme un citron dès la première occasion.

Même Ysold ne lui a rien épargné quant aux rencontres politiques, et Sariel a suivi le pas sans avoir d’autre choix, Gaebril sur ses talons. Alors quand l’opportunité de décamper s’est présentée après la nuit tombée, lorsque Ysold s’est retirée dans sa chambre - ou plutôt, leur chambre commune où Sariel ne mettra pas les pieds, encore moins avec Gaebril sur le dos -, il a sauté sur l’occasion. Ni une ni deux, il s’est éclipsé, n’attendant pas une seconde de plus que son chaperon lui tombe dessus pour accomplir son “devoir conjugal”.

Alors qu’il étouffe entre les murs de pierre des couloirs, Sariel choisit la première sortie qui s’offre à lui, sans se soucier de l’endroit où il met les pieds. Un océan de verdure l’accueille alors, nimbé par la lumière de la lune qui flotte dans le ciel nocturne. Les étoiles scintillent dans le firmament, des constellations en pagaille dont il s’amusait à apprendre les noms avec sa jumelle, les fois où ils se glissaient sur le balcon la nuit quand ils n’arrivaient pas à dormir. Et quand ils n’en connaissaient pas les noms, ils inventaient nom et histoire pour chacune de ces constellations, riant de bon cœur - mais jamais trop fort pour que les domestiques ne les surprennent pas et rapportent leurs exactions à leurs parents. Leur père se contentait de quelques mots réprobateurs, atténués par l’esquisse d’un sourire réprimée tant bien que mal, mais leur mère les punissait avec une sévérité destinée à leur faire passer l’envie de recommencer.

Ils ont recommencé à chaque, toujours désireux de partager ces moments en tête-à-tête au cœur de la nuit.

Le souvenir lui arrache un sourire, tout comme il trébuche sur le sentier pavé qui serpente dans les jardins du Donjon Rouge. Sariel peine à se rattraper, en partie parce qu’il a trébuché sur une autre personne - et pas un domestique, qui se serait aussitôt confondu en mille excuses. Il se recule aussitôt d’un pas, bégayant un semblant d’excuses, avant de se reprendre.

Si Ysold était là, elle le foudroierait du regard.  

Sariel lisse sa tenue - par la lumière qu’il hait ces vêtements pas pratique pour un sou, encore moins quand il s’agit d’être discret - puis redresse la tête vers la personne qu’il a percutée.

— Exc… Veuillez m’excuser, ma dame. Ses mains se referment un bref instant, crispée au souvenir des coups de badine face à ses fautes de langage. J’avais la tête ailleurs.

Heureusement pour lui, personne d’autre n’a assisté à cette collision malheureuse. Il vaut mieux pour lui que Gaebril n’en entende jamais parler.

Qu’est-il censé faire, à présent ? S’éclipser au plus vite pour la laisser à sa promenade ? Dire autre chose ? Sariel ne sait jamais à quoi s’attendre avec ces nobles - et encore moins quand la femme en face de lui a tout l’air d’être une notable volantaine. La ressemblance désagréable le laisse mal à l’aise, comme s’il ne l’était déjà pas assez avec toute cette situation.